« Nous saluons les efforts de certains partis qui ont limité les reculs les plus brutaux sur notre système social (saut d’index ou baisse de la norme de croissance du budget des soins de santé). Cependant, cet accord risque de fragiliser un grand nombre de personnes dont les femmes, les travailleurs précaires, les pensionnés ou les malades de longue durée » , déclare Jean-Pascal Labille, Secrétaire général de Solidaris.
Un cercle vicieux entre le travail et la santé
Le gouvernement part d’un postulat erroné : les individus sont responsables de leur maladie et, en les « responsabilisant », ils retourneront plus vite à l’emploi. Or, 60 % des personnes en invalidité le sont à cause de maladies musculo-squelettiques ou de troubles de santé mentale, souvent liés à des conditions de travail dégradées. L’accord envisage de responsabiliser davantage les employeurs. C’est une bonne mesure, mais insuffisante. En effet, les causes structurelles des maladies risquent d’être renforcées par toute une série de nouvelles mesures socio-économiques, prévues par l’accord, dégradant les conditions de travail : recul de l’âge de la pension, généralisation du travail de nuit et de la flexibilité au travail. Les mutualités continueront à jouer leur rôle de partenaires fiables pour aider les personnes à reprendre le chemin du travail, sans compromettre leur rétablissement.
L’accessibilité aux soins sous grande pression
Nous saluons l’élargissement du champ d’application du maximum à facturer (MAF) pour les patients psychiatriques de longue durée. De même, nous notons la volonté de réformer notre modèle de conventionnement. Solidaris sera vigilant à ce que cette réforme poursuive bien l’objectif d’augmenter la sécurité tarifaire des patients. Cependant, nous constatons qu’il n’y a pas d’autres mesures spécifiquement dédiées à l’accessibilité aux soins de santé (comme mieux rembourser les soins les plus reportés, élargir l’octroi automatique du statut BIM ou augmenter l’indemnité maladie invalidée de minimum 10% au-dessus du seuil de pauvreté). Or, pour rappel, en 2024, 41 % des Belges francophones ont déjà dû renoncer à des soins pour des raisons financières[1]. Par ailleurs, les populations qui reportent le plus leurs soins sont celles que le gouvernement risque de fragiliser davantage (mères seules, chômeurs et bénéficiaires du revenu d’intégration, malades de longue durée, pensionnés). Solidaris sera une force de propositions pour contribuer à répondre aux problèmes concrets vécus par la population, qu’il s’agisse de la disponibilité des soignants, de la sécurité tarifaire ou de l’accès effectif aux soins.
Si le financement prévu n’est pas suffisant, qui va payer la facture ?
Nous pouvons nous réjouir que la norme de croissance actuelle soit maintenue et saluons le combat acharné de certains partis en la matière. Cependant, à politique inchangée, en se basant sur l’hypothèse du Bureau du Plan, la trajectoire budgétaire prévue va forcer les prestataires et les mutualités à trouver près de 2 milliards d’euros d’économies, sur la législature. Tous les secteurs risquent de devoir faire des économies. Mais l’accord semble déjà dispenser un secteur en particulier : l’industrie pharmaceutique, alors que ses dépassements budgétaires sont les plus élevés. Pour rappel, les surprofits générés sur les médicaments seraient de 1 milliard d’euros chaque année, payés par la sécurité sociale. Conséquence : il y a un risque que les économies se fassent sur le dos du patient (déconventionnement, soins plus chers et délais d’attente rallongés pour un rendez-vous avec un spécialiste). Au travers de la concertation sociale, nous serons vigilants et ferons des propositions pour que les efforts soient équitablement répartis, sans toucher à l’accessibilité et à la qualité des soins.
Comment faire face aux nombreux défis, dans ce contexte budgétaire ?
Étant donné les économies importantes qui seront nécessaires pour respecter le budget prévu par l’accord, nous posons la question : qu’en est-il des moyens supplémentaires nécessaires pour répondre aux nombreux défis auxquels fait face le secteur des soins de santé ? Comme l’indique le Bureau du Plan, le vieillissement de la population, la pénurie de personnel dans le secteur du soin ou l’augmentation des maladies chroniques nécessitent des investissements accrus qui risquent de ne pas être envisageables sous la prochaine législature.
Sécurité sociale : comment arriver à l’équilibre avec moins de recettes ?
Nous saluons le combat de certains partis pour mettre les épaules les plus larges à contribution. Néanmoins, force est de constater que l’accord affiche une ambition d’assainissement budgétaire dont la stratégie repose essentiellement sur des restrictions dans les droits sociaux (chômage, pensions, soins de santé) qui auront un coût humain et social à long terme. De plus, l’accord prévoit une nouvelle vague d’exonérations de cotisations sociales. Depuis 20 ans, ces exonérations n’ont jamais créé l’emploi promis ni l’effet retour escompté. Au contraire, elles affaiblissent la sécurité sociale et renvoient toujours plus de personnes vers une aide sociale sous-financée.
Nous serons des partenaires vigilants pour relever les défis
Sanctionner les plus fragiles n’améliore ni l’économie, ni les finances publiques. De même, reprendre le récit selon lequel s’attaquer aux demandeurs d’asile aiderait les travailleurs est tout aussi mensonger. Nous sommes également inquiets de constater le manque d’ambition sur les déterminants non médicaux de la santé, au premier rang desquels le dérèglement climatique. À cet égard, l’accord laisse planer un doute sur la relation de confiance entre le gouvernement et les acteurs de terrain – monde associatif, ONG, syndicats – pourtant essentiels pour mener des politiques publiques adaptées aux réalités de la population.
“Nous défendons une sécurité sociale mieux financée, des soins de santé planifiés et des mesures qui luttent contre la précarité. Jamais personne n’a été plus en sécurité en marchant sur les plus vulnérables. L’histoire nous enseigne que le bien-être des gens repose sur des mécanismes solides de protection et de solidarité. Nous sommes conscients que le contexte politique est compliqué pour faire advenir de vraies avancées. La concertation sociale peut être une solution, notamment pour assurer une meilleure adéquation entre les moyens alloués et les besoins réels du secteur des soins de santé”, conclut Jean-Pascal Labille.
[1] Etude report de soins Solidaris : https://www.institut-solidaris.be/index.php/report-de-soins-2024/